Perdue dans la rue [libre]

Assise sur un banc du Mapple Parc, je regarde les gens qui circulent. Ils vaguent tous, courant presque, ne prenant pas le temps de regarder autour d’eux. Ils ne font que courir, et j’avoue que c’est compliqué pour moi. Je n’ai aucun diplôme et pourtant, je ne vais pas pouvoir me laisser entretenir par Eyael. Je ne veux pas surtout pas qu’il pense que je ne sais pas me débrouiller. Et puis, je veux être en mesure d’acheter des choses à Gamma. Le pauvre n’a jamais eu de jouets depuis qu’il est avec moi et je voudrais remédier à ça. Surtout qu’il est adorable comme chien. Je sais que personne d’autre ne peut l’approcher, mais ça ne me dérange pas. Au moins, je suis certaine que personne ne lui fera de mal comme ça. Gamma relève ses yeux vers moi et je lui souris doucement. Il me lèche les doigts, avant de reposer sa tête sur ses pattes croisées. Dire que dans moins de deux jours, je vais vivre chez Eyael. Ça me fait tellement bizarre ! Surtout que je l’ai agressé de base, je ne comprends pas pourquoi il a retiré sa plainte. Soupirant, je me redresse et Gamma fait immédiatement la même chose. Lui faisant signe de marcher à mes côtés, je sors du parc doucement, avant de me balader dans les rues. Je fais attention à ce que personne ne passe à côté de mon chien, sinon je sais que ce dernier ne réagira pas bien. Il n’est pas méchant, mais je sais que je suis la seule qui peut l’approcher. J’ai réussi à ce qu’une personne du refuge s’en occupe pour le soigner, mais c’était sur un coup de chance, car il était complètement épuisé. Mais je ne préfère pas tenter le diable, de peur qu’on me le récupère pour le mettre à la fourrière. Soupirant, je me rends soudain compte que je suis bien loin de Mapple Parc. Mais où suis-je, c’est la question ? Commençant à paniquer, je me force pourtant à me calmer lorsque j’entends Gamma qui gémit. Je sais qu’il n‘aime pas quand je ne suis pas bien. Me forçant à respirer profondément, je sors mon carnet et écris rapidement dessus. « Quelqu’un peut m’aider ? Ps : n’approchez pas le chien. » Puis j’agite la pancarte dans tous les sens, Gamma assis à mes pieds. Pourvu que je ne rentre pas en pleine nuit au camp, c’est quelque chose que je déteste !

Pour sortie de fin d'année avec ma classe nous sommes allés au palais de justice. Plutôt impressionnant en fait, on a pu visiter une salle d'audience, comme dans les films. Je ne m'intéresse pas du tout à ce milieu professionnel mais franchement je suis contente d'avoir pu découvrir tout ça. Sur autorisation de nos parents nous pouvons repartir directement sans passer par le lycée, ce que je fais.

Il fait beau en ce moment et, ma jupe en jean accompagnée de mon top noir me suffisent amplement, même si j'ai un gilet dans mon sac au cas où. J'envoie un SMS à mon meilleur ami pour lui raconter ma sortie, lui n'étant pas dans ma classe n'y a pas eu le droit. Alors que je veux m'arrêter prendre une viennoiserie, je vois un peu plus loin une femme avec un chien et un carnet qu'elle tend, illisible d'où je suis. On voit des SDF assez souvent mais dans ce quartier, ils évitent généralement, les gens les plus hauts socialement parlants ne sont pas forcément les plus généreux ou ceux qui ont le plus de temps.

J'opte donc pour deux croissants et m'avance vers la jeune femme. Je peux alors lire : « Quelqu’un peut m’aider ? Ps : n’approchez pas le chien. » Je jette un coup d'oeil au chien qui en effet n'a pas l'air très locace. Je regarde alors la rousse : « Qu'est-ce qu'il vous arrive ? » Je n'ose pas sortir le croissant, elle n'a pas vraiment l'air affamé et je ne voudrais pas la froisser.

Je suis complètement perdue, dans un quartier que je ne connais pas, et je ne sais pas la direction qu’il faut prendre pour pouvoir rentrer chez moi. J’ai envie de retourner dans ma tente, et surtout, de dire au revoir aux derniers sans abris qui vivent au camp. Mais pour ça, il faudrait que je rentre avant la tombée de la nuit, ce qui est mal partie, vu qu’elle commence doucement, mais sûrement, à tomber. Et puis, je n’aime pas me balader seule en pleine nuit, même si Gamma est à mes côtés. Soupirant, j’écris rapidement sur mon cahier, précisant bien qu’il ne faut pas approcher mon chien. Au moins, je suis certaine qu’il n’y aura pas de problème comme ça ! Puis je commence à agiter ma pancarte improvisée, espérant que quelqu’un s’arrête pour m’aider. Mais de nombreuses personnes passent, me regardent et continuent leur chemin. Il y en a même certains qui s’arrêtent comme si j’offrais un spectacle, avant de repartir et ça me donne presque envie de pleurer. Une brune s’avance vers moi et j’ai l’espoir qu’elle va m’aider. Elle n’a pas l’air méchante mais les autres qui ont tracé leur chemin non plus. Elle s’avance et je pose ma main sur la tête de Gamma pour le calmer. Je n’ai pas envie qu’il lui montre les crocs, elle serait capable de prendre peur ! Et si elle est là pour m’aider, je préfère ne pas passer à côté. Lorsqu’elle me demande ce qui se passe, je soupire de soulagement. Enfin quelqu’un prêt à m’aider ! Retournant mon cahier, j’écris rapidement, de peur qu’elle change d’avis. « Je suis perdue. Je suis loin de chez moi, et personne ne veut m’aider dans ce quartier. » Lui tournant pour qu’elle puisse lire, je le retourne de nouveau pour écrire. « Vous pourriez m’aider, si vous connaissez la ville ? Parce que je ne suis jamais venue dans ce quartier, et je n’aime pas me balader seule de nuit … »

Je m'approche donc de cette jeune femme et lit qu'elle a besoin d'aide et de ne pas approcher son chien. Lui demandant ce qu'il se passe je jette un coup d'oeil à son chien qu'elle tient bien avant d'écrire à nouveau, pourquoi écrire plutôt que me parler ce serait plus simple ? « Je suis perdue. Je suis loin de chez moi, et personne ne veut m’aider dans ce quartier. » Rien d'étonnant pour la fin de son message. Alors que j'ouvre ma bouche pour parler, elle écrit une nouvelle fois. « Vous pourriez m’aider, si vous connaissez la ville ? Parce que je ne suis jamais venue dans ce quartier, et je n’aime pas me balader seule de nuit … » Je regarde alors autour de moi, c'est vrai que la nuit commence à tomber je ne m'en suis pas vraiment rendue compte.

« Vous êtes muette ? » Je ne peux m'empêcher de poser la question et m'en veux aussitôt de mon indiscrétion. « Où habitez-vous ? » Il me suffira juste d'appeler à la maison pour prévenir que je rentre plus tard, quand j'expliquerai que c'était pour aider une SDF mes parents n'auront rien à me dire, au contraire. Et puis, si je mets trop de temps à la ramener j'appellerai un taxi pour rentrer, cela ne m'inquiète pas du tout.

La situation est tout de même comique. Moi qui voulais m’évader de mes pensées, voilà que j’étais perdue. Autant dire qu’entre perdue dans mes pensées, et perdue dans un quartier, je préfère de loin la première option. Ecrivant rapidement, je lui fais part de ma pensée comme quoi, personne ne vient m’aider dans ce quartier. Ordinairement, il y a toujours quelqu’un qui prend deux minutes au moins pour demander ce qu’il y a. Sauf que là, ce n’est pas le cas. Si la jeune-femme ne s’était pas arrêtée, je crois bien que j’aurai passé la nuit dans ce quartier. Et autant dire que je ne le veux pas. Même si Gamma est avec moi, je ne sais pas où je pourrai passer la nuit tranquillement. Au moins, là où je vis pour encore quelques jours, j’ai ma petite tente. Et même si elle est trouée, elle se rapproche de la maison que j’aimerai avoir. Espérant qu’elle va m’aider, j’attends avec impatience sa réponse. Lorsque la jeune-femme me demande si je suis muette, je ne sais pas réellement quoi lui répondre. Oui je le suis, mais par choix, pas parce que j’ai un quelconque problème de santé. Tournant mon carnet, je lui réponds. « On peut dire ça oui. » Pas besoin non plus d’aller dans les détails. Les fantômes de mon passé me hantent assez comme ça. Lorsqu’elle me demande où j’habite, je lui souris, avant d’écrire. Je n’ai nullement honte de le dire. « Au camp des sans-abris. Dans Harmalde. » J’espère qu’elle sait où c’est, sinon, je suis mal. Et je n’ai vraiment pas envie d’attendre que quelqu’un d’autre vienne m’aider. Gamma se couche à mes pieds. Retournant le cahier, j’écris dessus, avant de lui tourner. Peut-être qu’elle s’en fout de ce que je viens d’écrire, mais j’essaye de redevenir sociale, vu que je vais bientôt habiter avec quelqu’un. « Je m’appelle Cassie, mais vous pouvez m’appeler Seven. On m’appelle comme ça maintenant. »

Quand elle me dit où elle habite, je compose le numéro de mes parents. « Je préviens mes parents et je te ramène ! » lui dis-je en la regardant. Je m'éloigne un peu et reviens à peine deux minutes plus tard en lui souriant. « On y va ? » lui lançais-je. Elle me répond d'abord en se présentant, c'est marrant, son surnom n'a absolument rien à voir avec son prénom.

« Va pour Seven alors ! Moi c'est Anna-Lucia, mais Anna suffira ! D'ailleurs, tu m'entends ou je dois toujours te regarder pour te parler, pour savoir en marchant comment faire... » Je préfère demander avant de partir, on en a quand même pour un petit moment à pied mais ça devrait le faire. Je trouve ça d'ailleurs marrant la façon dont j'arrive à me foutre qu'elle ne parle pas, beaucoup se serait sentie gênée mais j'ai réussi à rester normale, enfin je crois. Cela doit aussi venir de l'éducation que m'ont donné mes parents, ne pas juger les différences et souvent ils m'ont emmené avec eux quand ils allaient aider les SDF ou les gens dans le besoin tout simplement. Je ne me sens ni choquée, ni oppressée ou quoi que ce soit.

Je lui ai indiqué où j’habite. Ce n’est pas une honte pour moi, mais une force. Elle me prévient qu’elle va simplement prévenir ses parents. Je hoche la tête avec difficulté. Ça me fait bizarre d’entendre qu’elle prévient ses parents. J’en ai plus … Ca fait cinq ans que je vis seule et la seule famille que j’ai, c’est les sans-abris. Elle revient très vite et me demande si on peut y aller. Nouveau hochement de tête, je ne vais pas gâcher une feuille pour écrire simplement oui. Surtout que je n’en ai pas trouvé un nouveau dans les poubelles. Alors même si je dois aller habituer bientôt ailleurs, il n’empêche que c’est la dernière chose qui me reste de Dom’. Me présentant, je trouve que c’est important. Elle me répond que je peux l’appeler Anna. Prenant une nouvelle page de mon cahier, je lui écris tout en marchant. « Vous pouvez parler normalement, j’entends très bien. » Je lui montre en souriant afin qu’elle ne pense pas que je l’agresse dans mes paroles ou quoi. Avançant doucement, je m’interroge sur la jeune-femme à mes côtés. J’ai peur de lui faire perdre son temps. Après tout, c’est déjà très gentil de sa part qu’elle se soit arrêtée à mes côté. Ecrivant tout en marchant, je lui tends ensuite le cahier pour qu’elle puisse l’attraper et lire. « Vous n’avez pas quelque chose d’autre à faire, je ne veux pas déranger. C’est déjà gentil de votre part de vous être arrêté. »